l'encadrement du cercle

Émile regarda à droite puis il regarda à gauche. Il refit le même exercice avec minutie. Une fois satisfait par l'absence hors du commun de moyens de transports, il traversa. Il sautait toujours d'une bande jaune à l'autre lorsqu'il migrait d'un trottoir au prochain. C'était un truc que son père lui avait appris un samedi chaud de mai. Sous le choque de ses bonds, sa boule supérieure, noisette et chocolat, vint s'applatir entre deux bandes jaunes. Son père lui avait payé un deuxième cornet, de luxe cette fois-ci, parce qu'il se sentait responsable de l'écrasement de la première boule. Il n'aurait jamais pu prévoir qu'en transmettant ce jeu millénaire à sa progéniture, l'audacité de son fils le pousserait à jouer au mauvais moment et à détruire la sphère brune. Son souvenir se dilua. Émile revint à lui-même. Cette fois-ci, la traversée serait plus spéciale que les autres. Ses sens lui avaient confirmé une pénurie totale de véhicules. Il faisait face à un désert bitumineux qu'il obeservait, en le ressentant, avec une attention toute particulière. Il se méfiait de la chasteté crasseuse de la chaussée et du ciment froid qui la constituait. Ce dérivé de roches, volées au sol, aplanis lui avait déja pris sa boule.C'est pourquoi, avec une précauton ahurissante, il survolait le bitume mouillé et taché de reflets en bravant la mort. C'est en s'imaginant un béton mouvant en liaison directe avec l'enfer qu'Émile sautillait en effleurant à chaque instant la fin du monde.

Rogatien regarda à droite, puis il regarda à gauche. Il tâta une flaque d'eau du bout de sa cane pour en sonder la profondeur. Il esquissa un sourire imperceptible, satisfait de pouvoir subordonner cet ondine horrible à ses énormes bottes de caoutchouc, toujours sous la garantie, sur la liste hiérarchique des choses de l'univers. Cette satisfaction s'estompa aussitôt que sa cane lui révéla l'ampleur de la douve qu'il devrait inévitablement contourner pour accomplir l'achat de son quotidien faux-gros-cigare-cubain indubitablement déconseillé par son médecin.

Luc regarda à droite, vit l'autobus, sortit son cellulaire, nota l'heure, arrêta d'attendre le changement de lumière, posa un pied dans l'eau, s'arrêta, roula ses bords de pantalons déja trempes. Tout tombait en trombe pour culminer au comble de la désorganisation lorsqu'il sentit son cellulaire cesser de vibrer dans sa poche, témoignant d'un message échoué sur sa plage vocale, s'y perdant instantanément à tout jamais. Très Brièvement, avant de relever la tête, il tenta le tout pour le tout et sortit l'appareil, très pesant pour une puce, pour se marteler l'heure à l'ocipital, par pur desespoir correctionel. Le martèlement se prolongea un bon moment puis son instinct retentit. L'autobus passait, déjà trop loin de sa personne, si proche pourtant que l'air déplacé vint carresser le visage de Luc. Il sortit son briquet pour rallumer cette cigarette qui s'était éteinte depuis belle lurette et qui restait suspendue à ses lèvres comme un funambule ivre le ferait sur un fil invisible. L'étincelle fut.

C'est précisément à ce moment-là que l'univers se referma sur lui-même en une énorme sphère intacte dont la forme arrondie tendait son décompte. La dernière décimal du rapport entre le diamètre de cette sphère et son aire résonnera en un declic disruptif qui marquera le nouvel horizon de l'expansion froide. Le moule cédera et sa pâte binaire de vide et de trainées de poussières cosmiques s'étendra sur toutes les dimensions de l'ultime néant. Mouvement de refroidissement qui s'étend avec le temps qui s'étire en boucle.

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